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Le pastel tendre sur des supports petits formats

Le pastel tendre (ou pastel sec) sur des supports petits formats. La réponse technique de l’Artisan Pastellier et la réponse artistique de Marie-Lydie Joffre à une question de Bernard B.

Bonjour,

J’ai découvert votre site par la revue d’art et décoration du mois d’octobre et étant passionné (amateur) de dessin “pastel” et sachant que vous êtes fabricant de pastels secs, une idée me traverse l’esprit depuis un certain temps : peindre des tableaux de grande ou moyenne taille convient très bien au pastel, dès que la taille est réduite, on est souvent obligé d’utiliser le crayon pastel qui, il faut bien le dire n’est pas très pratique car il faut sans cesse le tailler et bien souvent le pastel très tendre casse et il faut constamment recommencer l’opération. Il m’est arrivé de tailler un crayon pastel et de ne jamais réussir à avoir une mine correcte, à chaque fois la mine cédée !!

La question que je voudrai vous poser est la suivante :

– Ne peut-on pas fabriquer un crayon pastel comme ces mines “HB crayon de papier” que l’on insère dans un stylo à poussoir ?

J’insiste encore un peu sur mon crayon pastel (et je vous laisserai tranquille !) en vous joignant une photo d’un stylo que mon épouse utilise pour son maquillage et qui m’a donné cette idée. Ce stylo (Eyeliner) est retractable et possède encore un embout taille-mine (sharpener). Il est vrai que son coût doit être sûrement supérieur à un simple crayon !! Mais qu’est ce qu’il est pratique !

En vous remerciant par avance, recevez, Monsieur, Madame, mes sincères salutations.

La réponse technique de l’Artisan Pastellier

Cher Bernard,

Je ne m’étais jamais posé cette question. Pour les petits formats il est vrai que le pastel tendre est moins facile. Pour les petits détails où les petites surfaces on peut bien évidement travailler avec des éclats de pastels secs ou au crayon de pastel, voir les crayons de couleurs pour les détails très fins. En général pour les petits motifs au pastel tendre on évite de faire des choses trop finies et l’on évite de dessiner trop de détails en gardant un aspect plus flou. Les pastels durs sont mieux adaptés.

En ce qui concerne les mines, il existe les mines de crayons de couleurs mais le résultat n’est pas identiques car les mines de crayons contiennent de la cire et donc on perd le couvrant et la matité. De plus ce côté gras du crayon de couleur ne permet pas de repasser dessus du pastel tendre car il est maigre.

On peut probablement fabriquer une mine en pastel sec, mais elle sera très très fragile, et nécessiterai un diamètre minimum au moins aussi important que les crayons de pastel (voir plus) ainsi qu’un outil type critérium adapté parfaitement. Malheureusement, le marché pour un tel produit semble bien faible en contre-partie de l’investissement à réaliser. Il est donc peu probable qu’il voit le jour.

Peut être êtes-vous tombé sur un crayon pastel de mauvaise qualité, ou peut être que votre système pour le tailler est trop sévère et casse la mine au fur et à mesure.

Voilà, je ne peux malheureusement vous en dire plus.

J’ai oublié de vous rappeler que le eyeliner utilisé en cosmétique est plus un pastel gras et pas un pastel tendre. Mais je regarderai quand même c’est promis.

Cordialement.

La réponse artistique de Marie-Lydie JOFFRE

Cher Bernard,

voici une réponse très fouillée à votre question très intéressante que je vous prie de trouver ci dessous.

Pastel sur support papier petit format

En art pictural, les petits formats sont rares. Les peintres, artistes de la vision, éprouvent la nécessité de grandes dimensions. Et même dans le cadre de dessins ou de pastels, les moyens et grands formats sont très répandus. Par exemple nombre de pastels sur papier calque de Degas approchent le mètre carré, les dessins de Van Gogh sont des formats moyens mesurant jusqu’à 60 cm en grande largeur…

Le petit format, quant à lui, réclame des techniques d’orfèvre. Réduisant le champ visuel, il demande à l’artiste de se concentrer sur le support. Le geste pictural perd alors de son ampleur, au profit d’une manipulation consciente, d’une exigence de précision, parfois de méticulosité. C’est pourquoi ces formats sont souvent exécutés au crayon, à l’aquarelle, à l’encre, laquelle par son fort pouvoir contrastant procure lisibilité jusque dans la miniature, comme c’est le cas de la gravure.

Si la poudre instable du pastel révèle les splendeurs de sa versatilité atmosphérique aux formats grands et moyens, sur petit format elle rend un peu myope ! Pour certains artistes ce flou poétique n’est pas satisfaisant. Alors voici quelques suggestions de réconciliation du pastel, employé pur ou en techniques mixtes, avec le petit format.

Bâtonnet de pastel dur

Un bâtonnet de pastel dur est indiqué dans le travail au trait. A l’aide d’un pastel type Rembrandt de Talens on obtient des lignes nettes, voire fines et jusqu’à très fines si on utilise le bord de la section circulaire du bâtonnet, sectionné à vif.

Crayons pastel et crayons de couleur

Par ailleurs, quelle que soit sa qualité, un bâtonnet de pastel sera toujours préférable à un crayon, pour le chatoiement de la couleur.
Dans la fabrication du crayon, les pigments subissent des traitements sophistiqués : charges pour la dureté, cire dont le liant fixe le pigment et, partant, le fige, lissage, compression de la pâte pour l’introduction dans une gaine…, toute transformation qui altère la fleur du pigment. La texture du crayon, étant devenue statique, ne peut plus frémir à la réflexion de la lumière, contrairement à la poudre du pastel en son vague à l’âme !

Quant à « fabriquer un crayon pastel » de la dureté d’une mine graphite, serait déliter les pigments à l’encontre de la nature intrinsèque du pastel qui est de les magnifier tout en les libérant !

Craies et sanguines

En revanche, les bâtonnets de craie ou de sanguine remplacent avantageusement les crayons pastel et crayons de couleur. A l’instar du pastel, les pigments y sont respectés mais ils sont davantage canalisés, ce qui rend le bâtonnet moins friable que celui du pastel.
Leur conditionnement sous forme de fins bâtonnets compacts, à section carrée, permet une utilisation sur la tranche, ainsi que sur l’arête et le coin, ce qui favorise un graphisme affilé.
Adaptés à la souplesse décisive de la main, qu’ils prolongent, ce sont les cousins des bâtonnets de pastel. En mixité, la texture légèrement adipeuse de la sanguine met le feu à la poudre de pastel tout en l’arrimant au support, la texture sableuse de la craie en renforce le scintillement.

Eclats de pastel

Les éclats de pastel sont bienvenus pour des tracés ponctuels : pointillisme ou autre forme graphique aléatoire, rehaut de-ci, de-là…
Mais le trait, obtenu avec l’éclat de pastel crispé au bout des doigts, manque de dynamique car les doigts n’ont pas assez de prise sur la malléabilité de l’éclat. Ainsi, la velléité de la ligne, la vibration de son déroulement, risquent-ils d’être inhibés, de même que la gestuelle de l’artiste ou encore l’intensité de son sentiment !
Il n’est pas indispensable de travailler avec un matériau de petite dimension pour peindre ou dessiner sur petit format. Au contraire, qui peut le plus, peut le moins, et un bâtonnet de pastel est tout à fait apte à des tracés ténus si l’artiste, faisant corps avec lui, les lui insuffle.
En effet, le confort d’un bâtonnet de pastel bien en main, délivré de son étiquette, dépoussiéré, anticipant la gourmandise provocante de la couleur, propulse l’artiste dans son exploration laquelle en retour inspire le matériau !

Peintures à l’eau

Outre les techniques mixtes sèches, pastel allié à la craie ou au fusain, il est possible de choisir des techniques mixtes humides ou tout à la fois !
Des traits fins ou des aplats de gouache, aquarelle, encre, acrylique, lacés à un lacis de pastel, et voilà que la technique sèche se délecte à la source de la peinture qui à son tour s’enrichit du limon poudreux du pastel. Ces peintures à l’eau offrent, par ailleurs, au pastel un supplément de fixation au support.
A propos, essayer de peindre à l’aide de pigments purs liés à la gomme arabique. On retrouve dans ce procédé les textures du pastel. De plus, les tonalités sont ardentes et la couche picturale bénéficie d’une bonne accroche au support.

Pastel au trait

Toutefois, le pastel pur, travaillé au trait de préférence, s’adapte bien au petit format. Un réseau raffiné de lignes superposées, juxtaposées, par le jeu de l’entrelacement donne souvent une matière cinétique, tout en faisant éclore des détails sans l’obligation de les y insérer. A ce jeu, toute qualité de pastel convient. A l’artiste de doser le matériau, et par exemple, de travailler les tracés moelleux et lumineux à l’économie, pour en conserver la force intacte dans la rareté, et le pastel sec et léger en faisceaux de couleurs !

Le support

Le support a sa part de créativité à égalité dans l’acte de peindre. Outre la superficie, la texture du papier et la préparation du fond ajoutent leur caractère à l’œuvre et sont essentiels pour sa mise en valeur. Le petit format invite à varier les supports à volonté jusqu’à l’approche du ressenti d’une bonne adéquation avec la technique picturale.
Ne pas craindre d’expérimenter des surfaces à l’encontre de ce qui est établi ! Des pastels sur papier-calque, ceci pourrait sembler risqué. Pourtant ce sont là, les plus somptueux pastels de Degas, exécutés par superposition de hachures dans tous les sens. Chaque couche était fixée, ce qui permettait de les accumuler et de donner de la profondeur à la remontée des fonds en surface.
Pour solliciter une dynamique, pourquoi ne pas commencer à peindre à l’aide d’une technique maigre, sur un grand format ? Puis découper la peinture en petits formats à rehausser au pastel ou autre technique ?
Le petit format présente aussi l’avantage de pouvoir être réalisé en série. Cette façon de peindre où chaque unité se révèle par rapport à l’autre pousse à l’innovation.

Tout est à faire, et le pastel sur petit format à créer !

Visitez le site de Marie-Lydie JOFFRE conacré au pastel et qui fourmille d’informations pertinentes